jeudi 24 janvier 2008

Les belles choses que porte le ciel

C'est le titre du premier roman de Dinaw Mengestu, un auteur américain d'origine éthiopienne et je me permets de bien souligner l'origine parce que dans ce cas, elle est très importante, vu que ce roman porte en grande partie sur l'Éthiopie dans les souvenirs du narrateur. L'auteur est né en Ethiopie en 1978 (un peu après l'arrivée de Mengistu – avec lequel, soit dit en passant, il n'a aucun lien de parenté - et son instauration de ce qu'on appellera la «Terreur Rouge», une révolution qui se veut communiste.) Mengestu arrive aux Etats-Unis à l'âge de 2 ans et demi avec sa mère. Ils rejoignent tous deux le père de Dinaw qui avait déjà fui aux Etats unis en 1977, craignant pour sa sécurité.
Publié au printemps 2007 en anglais, traduit et publié chez Albin Michel en septembre 2007, il connaît depuis un succès retentissant. Il a gagné le Guardian First Book Award en décembre dernier à Londres et, plus récemment, le prix du premier roman étranger en France. Bref, un premier roman très apprécié par la critique.
Il est difficile de raconter l'histoire du roman parce qu'on fait plus suivre le narrateur dans ses réflexions, ses dialogues et ses déambulations surtout, mais je vais quand même essayer. Le roman raconte l'histoire de Sépha Stéphanos, un immigrant éthiopien arrivé aux Etats Unis adolescent à la suite d'événements dramatiques survenus chez lui, à Addis Abeba. A 36 ans, il est propriétaire d'une épicerie au bord de la faillite dans un quartier très pauvre de Washington, quartier touché par une gentrification galopante. C'est un personnage solitaire, seul. Il a deux amis africains et immigrés eux aussi : Kenneth, un ingénieur kenyan, et Joseph, un congolais qui travaille comme serveur dans un restaurant très huppé. Ils se regroupent à l'arrière du magasin de Sépha et refont le monde à l'aide d'une quantité considérable d'alcool. Dans le même mouvement de transformation du quartier de Sépha, arrivent dans le quartier Judith, une professeure d'histoire à l'université en congé sabbatique, et Naomi, sa fille de 11 ans. A partir de ce moment, la vie de Sépha se transforme...
En fait, on assiste à cette transformation de manière anachronique parce que le récit est divisé en deux parties qui s'imbriquent : d'un côté, Sépha parle de lui au présent, de l'état de son épicerie et de son expulsion imminente et d'un autre côté, on retourne dans le passé lointain de Sépha. On comprend alors dans quelles circonstances il est parti d'Éthiopie et le chemin qu'il a fait depuis pour arriver dans cette épicerie. On suit aussi le parcours de sa relation avec les nouvelles arrivées dans le quartier, Judith et Naomi et son attachement pour elles. Tout ça se fait dans une écriture très dépouillée, parfois descriptive, observatrice et surtout, très retenue. Les détails sont donnés au compte-goutte, Sepha ne se lance jamais dans de grandes diatribes ni de grandes explications et le lecteur n'a connaissance des événements dramatiques qui ont provoqué le départ de Sépha d'Éthiopie qu'aux deux tiers du livre. Et plus la fin du roman approche, plus les deux parties se rapprochent : ce ne sont plus des chapitres entiers qui appartiennent à des périodes différentes de la vie de Sépha mais des segments de chapitres où le passé et le présent de Sépha se rejoignent pour finir par faire le narrateur plein de nostalgie et « coincé entre deux mondes », comme il le dit si bien à la fin du roman. On comprend particulièrement pourquoi il est à la marge lorsqu'on connaît ses deux amis : Kenneth est le prototype de l'immigrant à la recherche du rêve américain et Joseph est celui qui vit dans ses souvenirs, dans la nostalgie et dans l'idéalisation d'une Afrique utopique, même si parfois il est extrêmement lucide face à l'état du continent africain.
J'ai trouvé le rythme du roman très agréable, on le lit un peu au rythme des promenades de Sépha et lorsqu'il nous fait des révélations, notre rythme s'accélère aussi. Si je devais trouver un petit bémol, c'est le bris de ce rythme lorsqu'on arrive à l'épisode des multiples expulsions dans le quartier de Logan Circle. Je trouve qu'on passe trop rapidement d'une ambiance (ou encore une fois, un rythme) plutôt intimiste à un combat beaucoup plus collectif. Mais encore là, certains pourront peut être plus apprécier cette partie que moi! Mais franchement, il faut le lire rien que pour les conversations entre les 3 amis et leur petit jeu à propos des coups d'états africains. Ces parties sont particulièrement savoureuses. Un des trois amis s'amuse à nommer une personne et les deux autres doivent retrouver la date et le lieu où cet homme a réussi un coup d'état en Afrique! Et ils précisent bien qu'ils n'auront jamais fini d'en faire le tour de leur vivant! C'est amusant, drôle parfois et triste parce que vrai et d'actualité! Lisez-le... Réflexions, émotions et rires jaunes garantis!

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