lundi 8 février 2010

Une projection ratée


Le Réseau des lesbiennes du Québec projette son documentaire, Portraits de lesbiennes aînées, dans les résidences pour personnes âgées. Le but est de sensibiliser la population à la réalité de ces femmes vieillissantes et de lever le tabou sur leur homosexualité. Le public n’est cependant pas au rendez-vous.
Un lundi matin d’automne, les retraités de la résidence Marie-Jules, sur le Plateau Mont-Royal, sont conviés à la projection du documentaire, Portraits de lesbiennes aînées [voir encadré ci-dessous]. Au milieu d’une petite salle au plafond bas, éclairée aux néons et sentant le désinfectant, trône une grande télévision. À l’écran, une comédie sentimentale se termine. Diane Heffernan, coordonnatrice du Réseau des lesbiennes du Québec, explique qu’on attend qu’une résidente finisse de visionner son film.
Un coup d’œil révèle l’importance de cette pièce dans la vie des résidents. Deux grandes tables et une petite bibliothèque sont couvertes de films en vidéocassettes : de Top Gun à La blonde de mon père en passant par les spectacles de Garou et Céline Dion. De vieilles chaises en revêtement de simili- cuir s’alignent les unes à côté des autres pour accueillir le plus grand nombre possible de résidents. Avant la projection du documentaire, seulement trois chaises sont occupées par des femmes résidentes.
Après une courte présentation du projet, le documentaire commence. Un quart d’heure plus tard, une femme entre à grand bruit et demande ce « qu’on écoute ». Avec un rire gêné, elle s’assoit puis, dix minutes plus tard, s’endort. Elles sont déjà deux à légèrement ronfler dans la salle. Une demi-heure après le début de la projection, une autre femme se lève et s’en va. Elles ne sont plus que trois.
Une des résidentes est réveillée par une femme qui circule avec difficulté et qui s’arrête pour demander ce qui est projeté. « Une entrevue de lesbienne », répond la première. En s’appuyant sur sa canne, elle fait une moue sceptique et continue son chemin cahin-caha.
À la fin du documentaire, Diane Heffernan se lève et demande l’opinion des spectatrices. L’une d’elles lui répond que « chacun peut faire ce qu’il veut » et que « personne ne peut juger autrui ». Elle s’empresse ensuite de s’éclipser en marmonnant un « bonjour ».
Une autre femme demande si elle peut lui poser une question en privé. De l’autre côté du mur, on peut l’entendre faire des révélations sur sa vie sexuelle : « Moi, j’ai été mariée et j’ai deux enfants mais j’ai jamais été satisfaite. Je me masturbais, mais maintenant, j’ai de la misère parce que je fais de l’arthrite. J’ai toujours mieux aimé voir les hommes habillés plutôt que tout nus et j’aime vraiment les femmes aux gros seins. »
Une seule des résidentes paraît réellement intéressée par le documentaire. Assise dans son coin et d’une discrétion exemplaire, elle hoche la tête de temps à autre et prend soin de bien répondre au sondage, constitué de cinq questions, proposé par Diane Heffernan. Le documentaire aura peut-être atteint son but avec une des résidentes de Marie-Jules.


Qu’est-ce qu’une lesbienne aînée ?

Produit en 2006 par le Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ) et réalisé par Gin Bergeron, Diane Heffernan et Suzanne Vertue, Portraits de lesbiennes aînées est un documentaire qui présente les histoires de six femmes homosexuelles âgées. Le documentaire est long et laborieux à suivre mais ce qui s’en dégage est unanime. Les femmes qui témoignent préfèrent vieillir chez elles qu’en résidence. À moins de créer une résidence qui puisse regrouper plusieurs lesbiennes. Le projet vise à sensibiliser les personnes âgées en résidences aux réalités vécues par les homosexuelles. Diane Heffernan, coordonnatrice du RLQ, s’efforce de diffuser le documentaire dans les résidences de personnes âgées pour familiariser la population à l’arrivée massive dans le troisième âge de la première génération de lesbiennes sorties du placard. Le ministère de la famille et des aînés a accordé une subvention de 120 000 dollars sur trois ans au RLQ pour financer ses projections. Ce projet a vu le jour à la suite d’une question naïve : « Mais ça a l’air de quoi une lesbienne aînée ? »

Article publié sur quartierlibre.ca

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